mardi 8 décembre 2009

Joy Division: "Heart and Soul" (1980, Closer)




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Joy Division fut sans doute l´étoile la plus filante de toute la galaxie rock. En avril 1979, la quartette de Manchester publie son premier album "Unknown Pleasures", que l´on peut voir rétrospectivement comme le chaînon manquant entre le mouvement punk, déjà déclinant, et la cold wave, versant froid et minimaliste de la new wave des années 80. Cet album culte - jusqu´à sa pochette - sera le seul qui verra le jour du vivant de Ian Curtis, vocaliste et leader charismatique à tendance épileptique.

Ce dernier se suicidera en effet pour de bon (après deux tentatives avortées la même année) en se pendant dans sa cuisine le 18 mai 1980 à 23 ans, après - dit-on - avoir écouté China Girl version Iggy Pop. Ce suicide intervient quelques semaines seulement avant la sortie du second album "Closer", chef d´oeuvre absolu, recelant de nombreux titres époustouflants tels 24 hours, Decades, The Eternal ou bien Heart and Soul.



Heart & Soul, morceau à la fois tourmenté et cristalin, cérébral et presque dansant, illustre à la perfection le style Joy Division de ce début de 1980. Une section rythmique aussi précise qu´hypnotique porte à bout de bras le chant habité de Ian Curtis, traduisant un rapport à la vie d´une intensité extrême.
Devant une telle démonstration, on peut se demander jusqu´où aurait mené le génie créatif de Joy Division sans cette fin, hélàs tout aussi prématurée que prévisible.

samedi 14 novembre 2009

Portishead: "Machine Gun" (2008, Third)


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On connait le processus classique au terme duquel une formation qui vient à percer subitement au niveau critique et commercial voit bien souvent sa démarche créative affectée pour se rapprocher inexorablement du consensus de l´époque. On peuit citer pêle-mêle les facteurs suivants: médiatisation, pression de la maison de disque, attentes d´un public devenu mainstream. Il faut à mon sens y ajouter ce confort matériel et psychologique, antidote absolu au processus créatif. Il y a ainsi dans l´histoire de la musique pléthore de formations qui, après avoir momentanément bouleversé les codes en vigueur, sont devenues des caricatures d´elles-mêmes, livrant des disques insipides et des discours formatés. Un peu de name dropping? U2, Depeche Mode, Metallica, Red Hot Chili Peppers, Paradise Lost, Tiamat, etc. la liste exhaustive serait hélas beaucoup trop longue.

Il n´est donc pas courant qu´un groupe se radicalise au fil des albums. Les exemples sont même extrêmement rares. On peut citer Radiohead livrant des albums quasi-expérimentaux comme "Kid A" puis "Amnesiac" après le succès mondial de "OK Computer". Ou bien Nirvana sortant "Incesticide" compilation poisseuse et déglinguée, immédiatement après l´Ouragan "NeverMind" dans le but de casser la hype et pouvoir se réinstaller dans un processus de création exigeant. On pourrait citer également Sonic Youth, Dream Theater, Killing Joke. Et Portishead.

J´avais bien aimé les deux premiers opus des anglais, sortis au milieu des années 90; ce mélange de classe et de fragilité, et aussi cette façon d´être à la fois très à la mode et d´en être complètement en dehors. En 2008, onze ans après leur second opus, Portishead livre "Third", album exigeant et particulièrement diffcicile à assimiler, même après un grand nombre d´écoutes.



Choisir "Machine Gun" comme premier single est en soi un vrai, grand et beau suicide commercial. De ceux qui instantanément vous coupent du grand public, c´est-à-dire du la frange du public la moins fidèle et la moins intéressée par la dimension intrinsèquement artistique de la musique. Car Machine Gun est un titre dérangeant à plus d´un titre. Si la structure du morceau est en réalité de facture classique (seul manquerait le refrain final après l´enchaînement couplet/refrain/couplet/refrain/bridge-solo), ce qui détone est que la mélodie, au lieu d´être naturellement portée par un clavier ou une guitare, est ici intégralement sous-traitée à une batterie électronique aux sonorités particulièrement effrayantes.

Indus, minimaliste, électro, martial jusque dans son titre, Machine Gun ne laisse ni indemne ni indifférent. Si Portishead est un groupe de rupture, Third est - jusqu´à nouvel ordre - son album le plus radical, et Machine Gun sa composition la plus jusqu´au-boutiste. On tient donc là l´épicentre absolu du phénomène.

Normal que ça secoue.


lundi 12 octobre 2009

Alice In Chains: "Would?" (1993, Dirt)



Comment expliquer que dans les environs de Seattle naquirent entre 1985 et 1990 une dizaine de groupes, dont les plus talenteux s´appelaient Nirvana, Pearl Jam, Soundgarden et Alice In Chains, partageant pour l´essentiel une vision pessimiste de l´existence et une passion pour les sons de guitare bien lourds tout en exprimant un rejet vis-à-vis des codes metal alors en vigueur?

On a évoqué le climat pluvieux de Seattle, l´impact de la désindustrialisation, ou encore l´influence particulièrement fort de la drogue sur la jeunesse locale. Toujours est-il que de manière brutale la capitale de l´Etat de Washington devint l´épicentre du renouveau musical rock entre, disons, 1991 (sortie de Nevermind) et 1994-1995, années marquées par la mort de Kurt Cobain et l´essouflement des grandes formations locales après la sortie de plusieurs chefs d´oeuvre: SuperUnknown de Soundgarden (1994); Nevermind, donc, et In Utero (1993) de Nirvana; Ten (1991), Vs (1993), Vitalogy (1994) pour Pearl Jam; et Dirt (1992) et son plus discutable album éponyme sorti en 1995 pour Alice In Chains.



Dirt. Sans nul doute l´un des disques les plus déprimants de l´histoire du rock avec ses mid-tempos obsédants, ses thématiques morbides et les boucles vocales lancinantes de Layne Staley. Ce dernier tente d´exorciser son mal-être et ses démons les plus cachés au prix d´efforts vocaux parfois presque insoutenables. La dépendance de Staley à l´héroïne et à la cocaïne, jusqu´à son décès par overdose en 2002, rendait les tournées du groupe pratiquement impossibles. Les titres des morceaux comme Dirt, Down in a Hole, Junkhead, Hate to Feel ou Rain when I Die sont particulièrement explicites.

Pourtant, ce véritable enfer sonore déjà trop plein de certitudes sur l´inévitable tragédie qui vient, se conclut par un titre qui, par son point d´interrogation, semblait laisser comme un minuscule espoir.


samedi 19 septembre 2009

Can: "Deadlock" (1970, Soundtracks)



Très souvent citée comme influence majeure par les groupes de rock progressif, noisy ou expérimental de ces 30 dernières années, Can a composé entre 1969 et 1979 une douzaine d´albums particulièrement indispensables. Sur son premier disque, le groupe allemand basé à Cologne fait appel à un crooner noir américain particulièrement dépressif et conflictuel qui s´en ira - sur les conseils de son psychiatre - juste après la sortie du premier album "Monster Movie". C´est alors que les musiciens de Can repèrent Damo Suzuki, jeune aventurier japonais errant en Europe, en train de chanter dans un café de Munich. Le soir même il se produira en concert avec le groupe. De toute facon Suzuki n´aime rien tant que l´improvisation; y compris lors des enregistrements studio. Il chante souvent en anglais, parfois en japonais. Doté d´un charisme bizarre, il s´embarque souvent dans des délires vocaux particulièrement inquiétants dont le paroxysme sera atteint sur "Tago Mago", double album complexe et passionnant sorti en 1971, considéré aujourd´hui encore comme la véritable pierre angulaire du Krautrock.



Psychédélique et démoralisé, "Deadlock" est un cri tout autant qu´une expérience. Une guitare stridente semble gémir tout le long du morceau et plusieurs fausses notes viennent ponctuer cette performance live complètement hallucinée. Le public semble partagé entre adoration, consternation et effroi. Les paroles n´ont aucun sens, pourtant Suzuki paraît plus habité que jamais.

Il restera quatre ans au sein de Can, avant de se convertir Témoin de Jéovah et de stopper toute activité musicale pendant dix ans. Can s´orientera après son départ vers un style plus instrumental, hypnotique, ethnic ou ambient, mais toujours aussi radical dans sa singularité.

dimanche 13 septembre 2009

Marillion: "The Party" (1991, Holidays in Eden)


On a eu raison de juger sévèrement Holidays in Eden à sa sortie en 1991. Cet album, indigeste à bien des égards, était une tentative grossière pour Marillion de conquérir le grand public. Après plusieurs albums encensés par la critique mais ayant joui d´un succès relatif en terme de ventes, les anglais allait tenter le gros coup: un album aux tonalités et aux structures pop, recelant ce qu´ils pensaient être un grand nombre de tubes potentiels radiodiffusables. Nonsense pour le band le plus prometteur de la vague néoprogressive des 80´s. Et sanction logique: Marillion n´a bien entendu pas réussi a conquérir les masses et a dans le même temps bien faili perdre ses cohortes de fans si durement fidélisés.

Ce sixième album studio et deuxième seulement de l´ère post-Fish avec Steve Hogarth au chant n´est pourtant pas à jeter. Car l´on passerait à côté de deux morceaux cruciaux, annonciateurs des deux disques suivants, qui allaient - eux - devenir cultes: Brave (1994) et Afraid of Sunlight (1996). Je veux parler de l´hypnotique
" et de "The Party", morceau à la fois ample et intimiste; pudique et cru; symphonique et par certains aspects pourtant presque minimaliste.
Faussement bien elevé, "The Party", dépeint en réalité le dépucelage banal d´une adolescente de la banlieue londonienne lors de sa première "boum", le tout sur fond d´effluves de drogue et d´alcool. Pas de moralisme et pas non plus d´empathie envers le personnage principal, le texte d´Hogarth est aussi impersonnel et froid que son chant est au contraire puissamment émotionnel, démontrant comme souvent une capacité tout à fait troublante à conjuguer le clair avec l´obscur, à lyriciser le banal. Au fur et à mesure que le morceau se développe, la tension augmente pour atteindre une zone de faux équilibre qui éclate ensuite douloureusement par un solo de guitare paroxystique bien que particulièrement avare en notes, et qui lui même s´éteint dans un final en deux temps; symphonique puis intimiste. Pas de refrain dans cette petite pièce de musique qui multiplie les faux-semblants et les fausses-pistes, mais le charme fou des oeuvres majeures qui jouent à se déguiser en anecdote. Dix-huit ans après sa création, tout indique que "The Party" demeure l´un des secrets les mieux gardés de l´imposante discographie des elfes d´Ailesbury.