dimanche 25 novembre 2012

Archive: Bullets (Controlling Crowds, 2009)


Archive est un phénomène tout à fait unique au sein de la de la planète rock. Par exemple pour avoir utilisé 8 chanteurs différents depuis sa formation à Londres en 1994 : mieux que Black Sabbath (7) et The Gathering (6) ! Ou encore pour être resté relativement méconnu dans son propre pays malgré un statut de groupe quasi-culte dans une bonne partie de l’Europe. Enfin par sa trajectoire artistique profondément originale.

Archive est de 1994 à 2000 un projet électro et trip-hop dirigé par son duo fondateur Darius Keeler and Danny Griffiths (tous deux aux claviers). On retiendra de cette période le premier album Londinium (1996). Au début des années 2000, les têtes pensantes d’Archive décident d’opérer un changement total de line-up pour se diriger vers un rock progressif mâtiné d’électro. Arrive Craig Walker au chant pour trois albums très remarqués dont You all look the same to Me (2002) et Noise (2004). Durant cette période, Archive taquine Porcupine Tree au sommet de la scène prog européenne. Tout bascule à nouveau en 2004 avec le départ de Walker et l’intégration de trois nouveaux chanteurs (!), dont Pollard Berrier, qui parviendra rapidement à imposer ses propres compositions et influences. Devenu un véritable collectif se produisant régulièrement à sept sur scène, Archive va définitivement enfoncer le clou avec trois  albums majeurs : Lights (2006), Controlling Crowds (2009) et With Us Until You’re Dead (2012). Gros succès critiques, ces albums génèreront de longues tournées européennes largement sold-out.



Controlling Crowds est un concept-album de rock progressif réunissant de nombreux styles : rock électro (l’incontournable et paranoiaque « Controlling Crowds » scandé par Pollard Berrier), dark-rap (le flippant « BastardisedInk », marquant le retour du rappeur officiant sur Londinium, John Rosko), pop aérienne (le magistral « Kings of Speed » avec Dave Pen au chant) ou encore prog-rock cristallin (l’hypnotisant « Collapse/Collide », suavement interprété par Maria Q). « Bullets » est un single efficace, une parfaite synthèse électro/pop/rock qui aura permis aux profanes (dont j’étais) de découvrir cette formation singulière et de se convertir peu à peu en véritables Archivistes

samedi 6 octobre 2012

Lacrimosa : "Feuer" (2009)


Lacrimosa est l´une des légendes underground du mouvement gothique international depuis environ vingt ans. Si le succès du groupe a été rapide en Allemagne eu début des années 90, leur renommée est aujourd´hui bien établie dans des pays aussi divers que la Chine, le Mexique, l´Espagne et l´Europe de l´Est. Emmenée par Tilo Wolff, intellectuel allemand froid et mystérieux et Anne Nurmi, chanteuse finlandaise fétichiste l´ayant rejoint dés 1993, la formation est aujourd´hui basée en Suisse et compose avec une précision de métronome des disques d´excellente facture suivis de tournées ambitieuses.  
Tilo Wolff et Anne Nurmi
Angst (1991), premier album du groupe, constitue une épreuve extrême pour l´auditeur non averti, proposant de longues pièces minimalistes authentiquement dépressives, traitant principalement de la solitude, de l´inutilité de l´existence, et de la mort. Si Eimsenkeit (1992) s´inscrit dans la même veine, une évolution radicale a lieu surtout à partir de Inferno (1995), chef d´œuvre total d´un groupe étant parvenu à une étonnante maturité musicale. Si tous les albums sont recommandables, on peut distinguer l´exceptionnel Lichtgestalt, sorti en 1995. En 2009, Lacrimosa publie « Sehnsucht », annoncé en radio par le single « Feuer ».
« Feuer » est absolument représentatif du Lacrimosa post-1995 : à la fois maniéré et dur, le métal gothico-symphonique du duo finno-germanique emprunte aussi à la tradition de l´expressionisme allemand où à l´imaginaire enfantin. Dans ce monde en noir et blanc, la frontière entre cauchemar et réalité est toujours ténue, les chuchotements d´enfants précédant le plus souvent de terribles déflagrations.
A noter la sortie la semaine dernière du tout nouvel album de Lacrimosa : « Revolution » (Hall of Sermon).

samedi 18 août 2012

Nirvana: "Even in his youth" (1989)

Et si le meilleur morceau de Nirvana ne figurait dans aucun de ses disques officiels ? 

Totalement vampirisée par les immenses succès rencontrés en 1991 par l´album Nevermind et de façon posthume en 1994 par le MTV Unplugged, la discographie du trio le plus célèbre de Seattle est beaucoup plus complexe qu´elle en a l´air. 

Bleach (1989) est un disque obscur et paradoxalement rigide alors qu´il s´inscrit dans une veine indie punk incluant des éléments garage et lo-fi. A ce stade, il est impossible d´imaginer que 2 ans plus tard, Nevermind balayera tout sur son passage en s´écoulant à 30 millions d´exemplaires, et réintroduira pour de bon la saturation dans le paysage musical aseptisé de l´époque. Incesticide (1992) est une bizarre compilation de morceaux non retenus sur les deux premiers opus.  In Utero (1993) est donc le troisième et dernier album studio de Nirvana, dans un style punk rock contemporain particulièrement inspiré, à la fois très produit et incroyablement sauvage. En dehors de ces albums, gravitent une petite vingtaine de titres pour l´essentiel composés avant 1991 que l´on peut trouver en version studio sur diverses compilations non autorisées. "Even In his Youth” est l´un d´eux.

 "Even in his youth" apparaît sur cet EP de 1992 sorti uniquement en Australie et au Japon

Probablement conçu entre les enregistrements de Bleach et de Nevermind (mais sans doute trop brut pour figurer sur ce dernier), ce titre peut légitimement être considéré comme la quintessence de l´esprit grunge. Autour d´un riff entêtant, Cobain questionne les concepts de respectabilité et d´entretien du corps avec au niveau du chant ce mélange si caractéristique de désinvolture et de détermination. La synthèse définitive punk-noise-pop dont Nevermind sera l´apothéose est déjà en germe même si la dimension pop est encore ici très souterraine.

Attention, cet enregistrement vidéo est particulièrement culte. On y voit le gang d´Aberdeen dans sa formation définitive (Cobain/Grohl/Novoselic) en concert en Autriche lors du versant européen du Bleach Tour de 1989. La trentaine de spectateurs présents peuvent se prévaloir d´avoir assisté à un moment d´anthologie: Nirvana ne jouera en effet quasiment plus ensuite que dans des salles géantes et des stades... et avec moins de rage.

dimanche 8 juillet 2012

Deep Purple: "Hungry Daze" (1984)


Si le nom Deep Purple est avec celui des Beatles, des Rolling  Stones et de Led Zeppelin parmi les plus populaires du l´histoire du rock, il le doit principalement à son tube « Smoke on the Water » ; ce morceau imparable, composé et enregistré en moins de 24h suite à la destruction partielle des bandes de leur nouvel album dans l´incendie du Casino de Montreux le 4 décembre 1971, contenant en effet le riff le plus célèbre du rock. Mais contrairement à ces autres prestigieuses formations, Deep Purple était depuis  le départ un projet lancé pour réussir, une entreprise imaginée et sponsorisée par le music business londonien, sans spontanéité aucune. Les musiciens avaient en effet été recrutés sur petite annonce en 1967, et s´étaient spécialisés dans les reprises (Beatles, Hendricks, Tina Turner…). C´est la sortie du premier album de Led Zeppelin début 1969, qui servira de déflagration. 

Le line-up de Deep Purple est alors totalement chamboulé par l´arrivée de Ian Gillan (chant) et Roger Glover (basse), qui impriment une nouvelle orientation hard rock. Ce line-up mythique (Paice/Lord/Glover/Gillan/Blackmore) livrera trois chef d´œuvre en trois ans: In Rock (1970), Fireball (1971) et Machine Head (1972) et obtiendra dans le même temps un succès commercial gigantesque. Et puis la bonne vieille histoire du rock´n´roll prendra le dessus: drogues, égos, dissensions, lassitude. En à peine deux ans, cette machine qui semblait indestructible s´essouffle puis se volatilise le 15 mars 1976 au terme d´un concert désastreux du côté de Liverpool. 



Milieu des années 80. Deep Purple est enterré depuis longtemps. Depeche Mode, Dire Straits et U2 les ont remplacés. Pourtant, en cet été 1984, du côté du Vermont, les membres du line-up mythique 1969-1973 se sont retrouvés et enregistrent dans le secret, l´album du revival. De fait, Perfect Strangers sera un retour gagnant. L´album, ramassé, ne contient que 8 titres, excessivement produits. Deep Purple y démontre un savoir-faire évident, parfois légèrement bourgeois, et pour sonner moderne sans se renier, parvient à encadrer les éléments constitutifs de sa fougue 70´s par une rythmique froide, presque martiale, tout à fait dans l´air du temps. Si les morceaux sont tous très bons, un seul est génial. 

« Hungry Daze » conclut l´album et peut-être aussi une époque. Mystérieusement, il échappe au formatage relatif des autres morceaux, et happe immédiatement l´auditeur pour le plonger dans la folie nostalgique et tourbillonnante de 1969. Littéralement un revival hipppie, ce morceau évoque un mode de vie qui n´avait plus cours chez Deep Purple depuis  longtemps en 1984 : la vie sur la route, la drogue, le sexe : c´est-à-dire les fondamentaux du rock. « Hungry Daze » ou la toute dernière éruption de colère du Pourpre Profond, qui ne remuera ensuite plus guère que de la cendre froide.

lundi 30 avril 2012

Killing Joke : "The Death & Resurrection Show" (2003)




Killing Joke est une bien curieuse chose, branchée sur courant alternatif depuis 1979. La quartette aurait tout à fait pu connaitre une trajectoire à la Depeche Mode. Comme leurs glorieux compatriotes, le gang de Notting Hill s´est fait connaître au tout début des années 1980, proposant un style immédiatement  identifiable, et bénéficiant rapidement du pouvoir de diffusion du vidéoclip. 

Au charisme de Dave Gahan répondait celui de Jaz Coleman, dont après plus de 30 ans de carrière, personne ne sait tout à fait s´il est réellement fou ou s´il en cultive seulement l´apparence. Celui qui prétend ne dormir que 2 heures par nuit et qui partage aujourd’hui´hui sa vie entre la Nouvelle-Zélande et Prague (après un exil islandais dans les années 80 pour échapper selon lui à un risque d´apocalypse nucléaire) se définit comme un expert en occultisme et mène en parallèle une carrière de compositeur pour orchestre. 

A son image, Killing Joke n´a jamais voulu se départir d´un certain hermétisme. Fascinée par les concepts, les logos, la numérologie et le symbolisme en général, la formation a gagné au fil des ans en épaisseur, intégrant progressivement à ses visuels et ses paroles des éléments mystiques et millénaristes. A tel point qu´il est impossible d´appréhender le travail du Joke si l´on n’admet pas que celui-ci est très directement la conséquence de l´angoisse de la fin du monde ressentie par ses membres.



Les premiers albums rencontrent tout de suite un certain succès car ils fusionnent l´énergie du punk, alors déjà en déclin, à une new wave aux thématiques inspirées, le tout brûlant dans des entrailles de distorsions sonores, ce qui deviendra la marque de fabrique du groupe.  Après trois albums particulièrement abrasifs (Killing Joke, 1980 / What´s THIS For… !, 1981 / Revelations, 1982) Killing Joke sort à la file trois gros classiques de la New Wave: Fire Dances, 1983 / Night Time, 1985 & Brighter than a Thousand Suns, 1986. La suite de la discographie sera plus chaotique, entre échec artistique et commercial complet (Outside the Gate, 1988) et pics de créativité les réconciliant momentanément avec leur public, tels le rituel et orientalisant Pandemonium (1994) et Killing Joke (celui de 2003). 

Ce second album éponyme, sorti 7 ans après Democracy, marque le retour du Joke le plus intransigeant. Intégrant Dave Grohl (Nirvana) à la batterie sur disque, (certains y ont vu la volonté de se faire pardonner d´avoir pompé l´intro de "Eighties" pour en faire "Come as You Are"), le travail est plus rythmique que mélodique. Des morceaux comme "The Death and Resurrection Show" portent en eux une menace non feinte et relèguent très loin les nombreuses formations néo-metal tentant de singer l´esprit punk des origines, sans en avoir les moyens. Une véritable leçon professée par un instructeur ici particulièrement sévère. 

dimanche 18 mars 2012

Dire Straits: "Where do you think you´re going?" (1979)


Trop vite étiqueté « rock FM » par une trop grande partie de la critique musicale mainstream et des animateurs de radios, le cas Dire Straits, presque 20 ans après la dissolution du groupe, mérite d´être réexaminé avec la plus grande attention. En effet, il est aujourd´hui clair que ceux qui ont vu dans la bande à Mark Knopfler le pendant anglais de U2 n´ont rien compris au film. Si les apparences (120 millions d´album vendus et une dizaine de tubes monumentaux de « Sultans of Swing » à « Your Latest Trick ») peuvent semer le doute, tout le reste indique au contraire que les motivations profondes de Dire Straits se situaient aux antipodes des désirs de reconnaissance et de la mégalomanie souvent crasse caractéristiques de la bande à Bono.
Dire Straits sortira 6 albums studio de 1978 à 1991. Les 2 premiers (Dire Straits puis Communiqué) demeurent des classiques absolus de pop bluesy pourtant toujours largement sous-estimés. Suivit une période « prog » (Making Movies puis Love Over Gold) où Dire Straits se complaira dans des morceaux à tiroir de bonne facture, avant le come-back tonitruant de 1986 (Brothers in Arms) qui symbolisera l´avènement du support Compact Disc. La formation londonienne tirera sa révérence en 1991 avec le crépusculaire On Every Streets, marquant un retour - par définition définif - à ses premières amours : blues, rock & américaines.
Communiqué sort en 1979 alors que « Sultans Of Swing » continue de tourner à très forte rotation sur les radios du le monde entier et que le premier album éponyme se place encore dans le Top 5 des meilleures ventes en Europe. Enregistré aux Bahamas, l´album est plus homogène que son prédécesseur et propose 9 titres d´excellent niveau. On peut distinguer le génial morceau introductif « Once Upon a Time in the West » (préfiguration du dantesque “Telegraph Road” sur Love Over Gold), l´hypnotisant « Single Handed Sailor » ou l´inquiétant slow hawaiien « Follow Me Home ». Mais on peut aussi leur préférer l´original et rugueux “Where do you think you´re going”, histoire banale d´une séparation contée sur un mode assez radical 50% folk 50% blues. Dire Straits perdra par la suite cette intensité rêche au profit d´une sophistication formelle qui ne nuira toutefois jamais à son authenticité.

dimanche 22 janvier 2012

Depeche Mode : "World in My Eyes" (1990, Violator)


Beaucoup de choses écrites dans mon précédent post sur The Cure peuvent s´appliquer à Depeche Mode : à l´instar de la bande à Robert Smith, il s´agit à l´origine un groupe de banlieusards anglais qui rencontra un succès immédiat au tout début des années 80 alors que les membres du groupe avaient tout juste 18 ans. Comme The Cure, leur succès fut croissant jusqu´au début des années 90. Comme The Cure, plus de 30 ans après ses débuts, Depeche Mode existe toujours et jouit d´une grande respectabilité.
Mais si The Cure n´a quasiment jamais cédé a la facilité, chez Depeche Mode en revanche la tentation du tube, du strass et du show-biz a toujours été bien présente. Comme si ce nom, emprunté à un magazine de mode français, traduisait dés le départ une volonté d´être tendance, de ne pas trop se laisser isoler dans sa singularité. Ainsi, dès 1980 Depeche Mode a épousé un positionnement paradoxal et délibérément refusé de choisir entre crédibilité underground et succès mainstream. C´est ce qui fait à la fois la limite et le charme de ce projet qui a résisté à tout : aux successives vagues grunge, rock, néo-electro qui aurait à chaque fois pu les ringardiser, ainsi qu´à ses propres périls : la drogue bien sûr, mais aussi l´amitié à l´épreuve du temps et du succès.
Faisant de l´ambigüité et du paradoxe son credo, Depeche Mode se veut insaisissable, et y parvient. Si le cerveau du groupe, Martin Gore, a joué dès le début sur son ambigüité sexuelle, la véritable star est Dave Gahan, baryton à la trajectoire cahotique. Son exubérance sur scène contraste avec la froide sobriété des autres membres du groupe, directement inspirés par l´esthétique Krafwerk.
Violator, sorti en 1991, est peut-être l´album le plus abouti du groupe. En utilisant pour la première fois des guitares en complément de leurs traditionnelles trames mélodiques 100% synthétiques, le groupe trouva un nouveau souffle, conférant une dimension plus puissante à leurs noires compositions. Si "Personal Jesus", "Enjoy The Silence" ou "Policy of Truth" furent des tubes gigantesques, l´entame de l´album, la suite « World in my Eyes » / "Sweetest Perfection" constitue, dans un registre cold mais totalement habité, peut-être ce que Depeche Mode a composé de plus authentique. Et ce n´est pas Robert Smith qui me contredira.